习近平"4.19"讲话一周年|让互联网更好造福人民
CHAPITRE VII
Les ravins de l’Arizze sont d’immenses pacages qui forment la racine du mont qu’on appelle le pic du Midi de Bagnères ou de Bigorre.
— Là, nous dit le guide, et je respecte son langage, vivait dans des temps très-reculés un vieux pasteur. Là paissaient ses troupeaux en toute liberté, car il n’avait jamais neigé sur la montagne.
Or le pasteur venait d’atteindre sa neuf cent neuvième année lors qu’il vit pour la première fois tomber de la neige, et le voyant, il connut que sa fin était prochaine. Lors il appela ses deux fils. Ceux-ci, qui le savaient très-vieux, avaient essayé de ranimer ses forces en lui portant du vin. Le vieillard y trempa ses lèvres et les retrempa encore.
— De quel arbre est ce fruit ? dit-il.
— Ce n’est point fruit de ronce, répliquèrent en souriant ses fils, mais la liqueur généreuse et nouvelle que donne le fruit de la vigne. Le vin donna au pasteur un plaisir passager, alluma son vieux sang une minute, mais ce ne fut que la flamme plus haute et dernière d’une lampe qui s’éteint, et à la première neige qui descendit sans relache :
— Mes fils, dit-il, je meurs, voici ma fin qui arrive. Rien ne peut à présent me retenir parmi vous. Je le savais, cela me fut prédit. Ces blancs flocons sont mon linceul qui vient, qui se déploie et tombe. Vous, prenez courage et suivez, quand je ne serai plus, cette belle vache à la bruyante sonnette. Elles vous mènera d’abord dans la région des Eaux-Chaudes, à Bagnères. Là doivent s’élever des thermes bien faisants, et où elle s’arrêtera, arrêtez vous !
Le vieux berger, qu’on appelait le Pan des Pyrénées, l’ancien des anciens, mourut alors, et nul ne chanta ses vertus et sa science, nul ne regretta celui qui avait guéri tant de malades avec les herbes de la montagne. Il mourut au bruit sourd, étouffé, de la neige qui tombe et l’immense linceul s’étendit, s’amassa et monta toujours.
Ses fils, pieux observateurs de la volonté du mourant, suivirent la vache qui partait sans les attendre en agitant sa sonnette. Elle fut d’abord, eux après elle, aux merveilleuses sources thermales connues sous le nom de Bagnères. Et il neigeait, neigeait toujours. La vache marchait sans hésiter, tout droit. Un esprit supérieur la guidait. On n’entendait dans le brouillard de neige qui obstruait la voix et le regard et étouffait le bruit des pas, que le tintement de la sonnette.
En descendant les bords de l’Adour, torrent jadis aurifère, qui ne roule aujourd’hui que des eaux et des rocs parfois tumultueux, elle s’arrêta au lieu où s’élève le village de Montgaillard. Les fils du pasteur s’arrêtèrent aussi. Il ne neigeait plus.
C’est depuis lors qu’il a toujours neigé dans la montagne.
Cependant le corps du grand pasteur ne resta pas sans sépulture. On l’inhuma pieusement, et la terre fut ornée en cette place d’un marbre blanc sur lequel parurent gravés des caractères inconnus. Une fois d’audacieux sacrilèges, violant la sainteté de ce tombeau, enlevèrent le marbre, mais il commen?a aussit?t de pleuvoir, et la pluie dura quarante jours sans trêve. Il fallut bien rendre sa pierre au mort irrité.
Telle est la légende. Ainsi se coucha dans la terre le grand pasteur d’Arizze, ainsi eut-il pour dernier vêtement la première et merveilleuse neige qui tomba du ciel sur les vallées profondes des Pyrénées, dans un temps qui n’a point d’histoire !
Cette légende est tout ce que je sais des vallons de l’Arizze, où la neige, peut-être la même qui avait enseveli le vieux pasteur, faillit nous ensevelir aussi.
L’orage nous sauva. Nous ne f?mes pas enterrés, mais noyés. Pendant une heure, pluie, rivières, ruisseaux, torrents, cascades, se décha?nèrent à nous faire croire qu’on avait encore violé la sépulture du pasteur. Nous étions mouillés comme des éponges, et, sans abri, forcés de rester en repos sous une pluie oblique crépitant comme la grêle, qui nous fouettait du haut en bas.
Quand nous p?mes reprendre la route, un soleil bienfaisant darda ses rayons les plus chauds sur nos vêtements, ce qui nous fit ressembler à une lessive ambulante. Nous grelottions sous cette chaleur et nous marchions avec peine sous le poids de nos habits mouillés.
— Quelle position pour un sous-préfet ! me dit Charles en me poussant du coude et en me montrant édouard qui, les dents serrées, n’osait pas se plaindre, mais devait bien maudire in petto les voyages dans la montagne.
Enfin nous arrivames à une petite auberge qui se trouve sur la route de Bagnères et où nous trouvames une chaise et du feu !
à demi séchés, nous en repart?mes pour Luz, où nous étions le soir même et où nous serions peut-être restés un jour, si le lendemain édouard ne nous avait forcés à reprendre la route de la montagne.
Pourquoi ? Nous le saurons bien assez t?t. Heureusement que notre plan de campagne était fait et que nous savions où aller. Charles et moi avions vu du sommet du pic du Midi, à plus de dix lieues de distance, le cirque de Gavarnie. C’est là que nous avions résolu d’aller, bien que ce voyage ait été fait, raconté, défloré même par beaucoup de voyageurs, dans beaucoup de romans, sans que voyageurs et auteurs pussent affirmer y avoir été.
Le cirque de Gavarnie est comme certains points à la mode de la Suisse. Tout le monde y va. Qui donc peut affirmer l’avoir vu ? C’est à Saint-Sauveur que nous reprenons haleine, car depuis Luz notre voyage ressemble à une fuite.
— Est-ce qu’il y a des gendarmes derrière nous ? demande Charles.
— Non ; mais il y a mon père et une autre personne.
— Tiens ! dis-je en moi-même, si j’avais su, j’aurais rapatrié tout ce monde-là ! Erreur ne fait pas compte. C’est partie remise.
Saint-Sauveur n’est qu’une seule rue bordée de jolies maisons et terminée par une église gothique. Bati sur le versant de la montagne, il se cache comme un lis au milieu d’un épais fouillis d’arbres audessus du Gave, qui roule ses eaux écumeuses dans une vallée profonde et sombre.
Un pont effrayant de hauteur relie Saint-Sauveur à la route de Gavarnie. C’est une arcade de granit, à plein cintre, reposant sur la base de deux rochers à pic et franchissant d’un seul bond une gorge de plus de deux cents pieds de profondeur. Les plus grands navires pourraient passer sous les jambes de ce nouveau colosse de Rhodes.
Le défilé qui suit le pont est d’un aspect sauvage. Nous l’avons déjà vu en sortant de Pierrefite, mais celui-ci se prolonge pour ainsi dire pendant six lieues. Le seul endroit de cette horrible gorge qui pique notre attention est le Pas-de-l’échelle, aussi lugubre que l’événement dont il fut le théatre.
Deux masses granitiques se penchent, gigantesques, l’une vers l’autre et simulent l’arche d’un pont que l’on aurait coupé pour fermer le passage à une armée de Titans. Au-dessus se voient encore les vestiges du fort de l’Escalette, où se réunirent une nuit plusieurs montagnards du Bigorre qui, lassés des invasions fréquentes des Espagnols dans leurs vallées, avaient résolu de les arrêter et au besoin de les anéantir en une seule fois.
Sept cents miquelets aragonais tombèrent dans cette embuscade. Il n’en revint pas un seul. Tous furent broyés par les pierres et les troncs d’arbres que les Bigorrais purent précipiter sur eux. Les blessés et les fuyards furent impitoyablement massacrés.
— C’étaient, dit Charles, les descendants probables des Basques qui ont anéanti les chevaliers de Charlemagne !
Après avoir passé le Pas-de-l’échelle, notre guide, — le même que la veille, un bon gar?on qui ne rit pas assez et ne parle pas souvent, — nous invite à crier aussi haut que possible.
édouard, très-nerveux, répond à cette invitation par un éclat de rire, et aussit?t nous croyons entendre ce rire répété par mille voix invisibles. C’est l’écho de la Peyre-Redoune, un roc qui en équilibre sur le précipice, semble vouloir nous barrer le passage. Tout en marchant, nous interrogeons encore l’écho, qui finit par se lasser de nous répondre.
— Nous lui avons fait baisser la voix, dit édouard enchanté.
Ce n’est pas nous, mais bien le bruit de la cascade de Sia, qui
semble jaillir de quatre petits moulins élevés à sa source et se précipite,
nouveau pont saint-sauveur. rapide comme la flèche, retentissante comme le tonnerre sous plusieurs
ponts superposés qui se présentent fort bien à l’?il dans leur cadre
de plantes grimpantes.
Nos chevaux fatigués nous portent avec un ennui qui nous gagne et auquel contribue l’aspect terrifiant des montagnes. Tout à coup, par un contraste indicible, nous nous trouvons en face du vallon riant et fleuri de Bagnères. Nous faisons halte sous une verte sapinière et nous dévorons un go?ter frugal, que viennent partager les chèvres et les brebis paissant dans une prairie voisine.
Enfin nous atteignons le village de Gèdres, dont le cachet pyrénéen, ses maisons construites en bois et disséminées en groupes pittoresques sur les pentes capricieuses du terrain nous réjouissent le c?ur. Nous nous sentons revivre en approchant du but.
En effet, on aper?oit déjà les gradins supérieurs du cirque de Gavarnie. Le Marboré dresse dans la nue son étincelant diadème de neige et de glace. On dirait qu’il est à une portée de fusil, et pour tant nous en sommes encore à plus de deux lieues. La brèche de Roland se profile admirablement dans le ciel d’Espagne. On dirait d’un immense tombeau élevé au sommet des Pyrénées et que la foudre aurait brisé par le milieu. Cette brèche a trois cents pieds de profondeur. L’?il lui donne à peine trente pieds.
Pour faire plaisir à notre guide, nous consentons à visiter la grotte qui se trouve derrière l’auberge, et dont l’aubergiste défend l’entrée à ceux qui ne lui donnent pas cinquante centimes.
Cette grotte n’a rien de remarquable, sinon ce qui nous y est arrivé et ce qu’en dit monsieur de Chausenque.
à tout seigneur tout honneur. Voici d’abord ce que dit le poète :
— C’est une longue tranchée d’où s’échappe le gave d’Héas entre deux murailles de granit et sous les branches croisées des érables et des tilleuls qui n’y laissent pénétrer qu’une demi-clarté. Les parois de cette tranchée sont ornées de plantes toujours fra?ches, de grêles saxifrages et de framboisiers hors d’atteinte, dont les fruits m?rissent et se dessèchent sur leurs tiges. Lorsque les rayons du soleil filtrant au travers du feuillage viennent tomber sur les eaux du petit bassin où le Gave s’endort au-dessous de son tortueux canal, ils répandent dans la grotte un demi-jour, merveilleux mélange de lumière et d’obscurité.
— Co?t : cinquante centimes, s’écrie Charles.
— Chut ! fait édouard, qui, de plus en plus nerveux et agité, parle bas, tressaille au moindre bruit et se cache de tous les voyageurs qui passent par Gèdres pour aller à Gavarnie ou en reviennent.
Il nous force même à prolonger notre séjour dans la grotte jusqu’à ce qu’une caravane d’Anglais soit passée. J’entrevois en effet une jeune miss au voile vert et aux lunettes bleues, qui me rappelle le charmant souvenir de mademoiselle Rose Bordanèche, mais doit avoir produit un tout autre effet sur notre ami édouard.
Ne voulant pas le rendre ridicule aux yeux de Charles, qui ne lui ménagerait pas ses plaisanteries, je m’extasie devant les beautés de la grotte dont l’obscurité nous protège et que ne visite aucun des touristes dont l’invasion cause à édouard le même effroi que causa l’invasion d’Attila à la Lutèce de Sainte-Geneviève.
Seulement je suis puni de mon indulgence, sinon puni, du moins très-contrarié par ce qui en résulta, bien que j’en aie tiré profit à tous les points de vue.
Soit caprice, soit crainte de retrouver la caravane qu’il n’a fait qu’entrevoir du fond de la grotte, édouard refuse d’aller à Gavarnie. Voilà tout notre programme changé. Le guide vient à notre secours.
— Nous irons tout de même, me dit-il à voix basse.
— Comment cela ?
— Laissez-moi faire, nous y coucherons ce soir.
— Alors, dit Charles, qui ne nous a pas entendus, nous n’avons plus qu’à retourner à Luz, de là à Pau, et de Pau à Paris.
— Non, fait le guide, à défaut de Gavarnie nous avons la chapelle d’Héas et le cirque de Troumouse.
— Parfait, s’écrie édouard, qui s’accroche à cette branche perfide.
— Et nous partons ? demande Charles.
— Après déjeuner !
Pauvre édouard ! combien de fois s’en est-il repenti ? Je suis persuadé qu’il s’en repent encore.
Après le déjeuner, qui aurait pu être meilleur et co?ter moins cher, mais du moins qui fut vite expédié, nous nous m?mes en route joyeusement. Le paysage était charmant. On longeait le Gave sous des berceaux de verdure et les montagnes qui nous environnaient ne nous paraissaient, vu la hauteur à laquelle nous étions, que des petites collines indignes du regard d’un touriste. Hélas ! l’illusion et le charme ne durèrent qu’un quart d’heure.
Soudain le paysage change d’aspect. Le Gave est redevenu torrent. Il se brise en écume, à travers des débris, au fond d’un ravin triste et nu. Une gorge sauvage remplace les prairies verdoyantes et les bouquets d’arbres. Les terres détrempées glissent et entra?nent des blocs de rochers.
Le guide nous fait mettre pied à terre et conduire nos chevaux par la bride. La route devient même très-dangereuse, et, pour nous dédommager, nous n’avons que l’aspect d’une nature morte qui rappelle l’avalanche de 1650 et l’inondation de 1788.
L’avalanche a rempli le vallon de rochers et de sapins, misérables restes de la montagne qu’elle a fait s’écrouler et de la forêt qu’elle a entra?née dans sa chute. Cette barrière a arrêté les eaux du torrent qui, en amont, avaient formé un immense lac.
C’est ce même lac qui, un siècle et demi après, en 1788, trouva une issue, et brisant l’obstacle qui l’avait créé, se répandit dans la plaine de Luz. L’inondation fut terrible. Les ravages qu’elle a faits sont encore là pour l’attester.
Du milieu de cette morne solitude s’élève, entre d’immenses quartiers de granit effroyablement fendillés, un bloc énorme appelé le Caillou d’Arrayé, qui domine les environs et semble menacer la montagne dont il est le produit et le contemporain.
Ce bloc a sa légende comme le lac d’Héas a la sienne, qui n’est qu’une variante de la légende du lac de Lourdes.
Là aussi le pauvre compatissant n’hésite pas à donner à Dieu, qui se présente à lui sous la livrée de la misère, l’hospitalité que le riche a refusée durement. Là aussi le pays des méchants est englouti sous les eaux, mais cette fois c’est un pauvre patre qui accueille le divin voyageur.
Ce patre n’a plus qu’un veau dans son étable ; c’est sa fortune et son ami ; il prie son h?te d’attendre un peu et de l’excuser s’il ne peut de suite satisfaire à sa faim. Puis il prend son veau, le tue sur le seuil de la porte et en fait un excellent r?ti qu’il présente au pauvre affamé.
Après le d?ner, avant d’aller se reposer, Dieu dit à son h?te :
— En souvenir de ton repas, je garde cette c?te du veau que tu viens de tuer. Demain, à la première heure, tu sortiras de ta cabane et tu suivras celui que tu trouveras sur le seuil et qui te conduira dans un lieu s?r. Cet avis, que je t’engage à ne pas oublier, est pour te remercier de ton hospitalité.
Le lendemain Dieu a disparu ; le patre s’éveille, ouvre sa porte et trouve sur le seuil son veau, frais et joyeux, qui le regarde de ses bons gros yeux bêtes et semble lui dire : ? Viens-tu ? ?
Le patre suit en effet cet étrange guide au cou duquel pend une son nette dont le battant est précisément l’os que Dieu avait mis de c?té. à peine l’homme et la bête sont-ils en s?reté, qu’arrive le cataclysme qui a bouleversé la contrée.
La vénération des montagnards pour le rocher d’Arrayé date des Druides ; il est à remarquer du reste que tous les rochers isolés sont considérés par eux comme des pierres sacrées et des autels que la nature elle-même a dressés pour son culte.
Le Caillou d’Arrayé ne pouvait manquer d’exciter l’imagination poétique et superstitieuse de ces hommes primitifs. Voici ce qu’on raconte :
La sainte Vierge, descendue des deux pour visiter ces vallons où il n’y avait ni églises ni chapelles, vint se poser sur ce rocher, et comme elle y restait, sans vouloir ni remonter aux cieux ni descendre sur terre, ce qui désolait son divin Fils et inquiétait les montagnards, ces derniers résolurent de lui construire une petite chapelle où du moins la sainte Mère de Dieu f?t à l’abri.
Dès ce moment, l’heureux bloc fut doué de propriétés miraculeuses et chacun de ses fragments devint un préservatif contre toute espèce de maladies. Sur la foi de cette légende, Louis XVIII avait voulu faire transporter à Paris ce rocher béni, afin d’en construire une chapelle au duc de Berry, que Louvel venait d’assassiner. La mort du roi ou plut?t la difficulté de l’entreprise firent échouer le projet. C’est un peu plus bas, dans une sorte de vallée nue, sans arbres, sans horizon qu’il faut aller chercher la chapelle d’Héas, sur laquelle notre guide, qui cette fois parle toujours, nous raconte cette autre légende :
La chapelle a été batie par trois ma?ons inconnus que trois chèvres, suivies de trois chevreaux, venaient tous les jours nourrir de leur lait. Au bout de trois mois l’édifice était presque achevé quand les trois ma?ons, ennuyés sans doute de ne boire que du lait, résolurent d’égorger l’un des chevreaux et de le faire r?tir. Mais les chèvres étaient fées ; elles devinèrent le complot et ne reparurent pas, si bien que les ma?ons, se voyant exposés à mourir de faim, furent obligés de descendre dans la vallée chercher leur nourriture.
Il fallait que ces ma?ons fussent eux-mêmes des sorciers, car leur ?uvre est parfaite pour le peu de temps qu’ils ont mis à la construire.
La forme est celle d’une croix grecque surmontée d’un tout petit d?me. La porte et les pilastres sont de marbre. L’Attique recèle une statue de la Vierge et de l’enfant Jésus, très-élégante, qui étonne moins encore que le tableau représentant Notre-Dame en capulet rouge, comme une franche montagnarde.
Rien de mieux fait que cette chapelle pour maintenir dans ces montagnes le culte de la Vierge. Il faut la voir surtout au 15 ao?t, quand les échos d’alentour retentissent du chant des cantiques et que le flanc de la montagne est sillonné de milliers de pèlerins qui viennent déposer leur offrande au pied du mystérieux oratoire !
Tout en descendant le vallon qui s’élargit à la Combe du Four pour nous laisser voir la belle masse de Troumouse avec ses étages super posés de gazon et de neige, je demande au guide s’il croit véritablement à l’existence des fées, qu’il place à tout propos dans ses récits.
— Si j’y crois, me répond le montagnard, mais notre famille est payée pour y croire !
— Votre famille ? Est-ce qu’il y a des fées parmi vos parents ?
— Oui et non.
— Oh ! fit tout à coup édouard.
Nous levons la tête et nous apercevons le jeune homme au sommet d’un petit escarpement, en proie à une admiration et à un enthousiasme que nous avions remarqués rarement chez lui.
— Le cirque de Troumouse, dit le guide, produit son effet.
— Est-ce qu’on m’aurait changé mon édouard en route ? dit Charles
très-étonné de l’étonnement de son cousin.
à peine arrivés près de lui, nous e?mes le mot de l’énigme. L’arête de l’escarpement que, sur les indications du guide, nous avions franchi pour mieux voir le cirque de Troumouse, finissait brusquement au-dessus d’une pente verticale de plusieurs centaines de mètres de profondeur. édouard, à moitié endormi sur son cheval, s’était éveillé en sentant son conducteur s’arrêter instinctivement et, ne voyant pas devant lui de route ouverte autre que celle du précipice, il avait poussé ce ? Oh ! ? sur la signification duquel Charles seul avait eu raison d’avoir des doutes.
— Est-ce qu’il va falloir descendre là-dedans, demanda enfin édouard.
Nul de nous ne répondit. Nous regardions stupéfaits.
Après la route que nous venions de faire et qui e?t été insignifiante si la causerie du guide ne l’e?t émaillée de légendes, tomber tout à coup sans préparation sur un des plus sublimes spectacles de la nature pyrénéenne, était une trop grande surprise pour que nous n’en fussions pas vivement éprouvés. Pour ma part, je restai interdit à l’aspect d’un objet aussi nouveau pour moi que si jamais je n’avais vu de montagnes, si interdit même que la voix me fit défaut alors, comme aujourd’hui l’inspiration.
Comment décrire en effet le cirque de Troumouse ? Ce n’est à l’?il qu’une vaste plaine de granit alternant avec la verdure et entourée de gradins gigantesques, de neiges et de pelouses, de glaciers et de crêtes qui sont les fleurons de cette immense couronne. En face de soi s’ouvre une courbe qui forme environ les quatre cinquièmes d’une circonférence complète. L’une des branches se compose de deux énormes rochers qui se projettent en avant comme deux bastions, l’autre d’une longue montagne toute unie, sans ressauts, sans anfractuosités dont le sommet se termine par la Tour des Aiguillons. Le pic de Troumouse réunit ces deux branches. ? Rien ne voile ses brillants glaciers, dit un des plus intrépides voyageurs des Pyrénées et des Alpes, ses noires saillies, ses deux obélisques d’égale hauteur qu’on appelle les s?urs de Troumouse. Il semble régner seul sur le vaste cirque ouvert à ses pieds. Ce cirque serait un gouffre s’il n’était immense. Il n’a nulle part moins de huit à neuf cents mètres de haut, mais il a plus de deux lieues de circuit ; l’air est libre, le ciel ouvert, la terre parée de verdure. De nombreux troupeaux s’égarent dans cette étendue dont ils ont peine à trouver les limites. Trois millions d’hommes ne la rempliraient pas, dix millions auraient place sur son amphithéatre, et ce vaste amphithéatre, cette vaste plaine, c’est à la crête des Pyrénées qu’on les trouve, c’est à mille huit cents mètres d’élévation absolue, c’est au fond d’une gorge hideuse où le voyageur se glisse en tremblant le long d’un misérable sentier dérobé aux précipices !… ?
— Eh ! bien, qu’en dis-tu, Manlius ?
— C’est presque aussi beau qu’au diorama des Champs-Elysées, mais c’est plus fatigant.
— Impie !…
à ces quelques mots échangés entre édouard et Charles succède un silence embarrassé. Qu’allons-nous faire ? Visiter le cirque ou continuer notre route ? Mais il est trop tard pour descendre dans cet ab?me que dix années ne suffiraient pas à explorer, et pour continuer notre route il faut rétrograder, ce qui effraye avec raison ce pauvre édouard, à bout de forces.
Enfin le guide nous console en promettant un voyage-agréable, qui ne doit pas durer plus de trois heures. Nous acceptons avec une résignation souriante ce programme et cette promesse. Le guide m’a du reste fait comprendre d’un coup d’?il que nous allons coucher à Gavarnie.
La route en effet est très-agréable par le Coumélie ; les sentiers serpentent dans les paturages, traversent la vallée d’Estaubé, au-dessus de ses gracieuses cascades, découvrent tout le vallon d’Aguila, avec ses blocs épais et ses gorges où mugit le Gave, puis viennent échouer sur les flancs du cirque de Gavarnie, dont on voit peu à peu se développer l’arc immense à l’horizon.
Bien que nous soyons fatigués, nous nous arrêtons pour contempler sous nos pieds les débris d’un contrefort du Coumélie qui s’est écroulé en fragments énormes et forment le passage du Chaos.
Une montagne ruinée est plus désolée que toutes les ruines humaines. C’est l’image du chaos dans toute son horreur. La solitude est morte, le silence est effrayant. On croit assister au réveil d’animaux antédiluviens dont les débris ont la forme, ces monstres formidables et gigantesques échelonnent le long des pentes leurs groupes accroupis, couchés dans toutes les attitudes et s’appuyant les uns sur les autres.
Pas un buisson, pas un brin d’herbe. Des avalanches de roches et de cailloux descendent de la cime jusqu’au fond, le chemin se tord péniblement dans les masses qui surplombent ; hommes et chevaux y paraissent des nains, et la noire armée de débris suspendue sur leurs têtes semble prête à fondre sur les insectes humains qui troublent son domaine.
L’accès de fièvre qui a convulsionné la montagne a d? être terrible. Le pays en frémit encore et muet de douleur montre cette plaie vive et saignante que la nature lui a faite à ses flancs crevassés ! Le contraste du chaos qui g?t à nos pieds avec le charmant paysage qui nous entoure et que les teintes rosées du soleil couchant rendent plus gracieux, fait sur nous une impression qu’aucun spectacle ne peut surpasser.
C’est sur cette impression, partagée même par édouard, que nous arrivons au village de Gavarnie, déjà peuplé des touristes du lendemain, auxquels les montagnards s’empressent d’offrir les produits du pays et surtout les batons ferrés.
Il n’y a qu’une auberge à Gavarnie. Il faut l’emporter d’assaut. Malgré les intrigues du guide, nous ne trouvons rien à manger et pas le moindre coin pour nous abriter.
Tout ce monde du reste effraye édouard qui, dans d’intrépides missess croit reconna?tre l’objet, de son aversion. Aussi est-il le plus ardent à vouloir repartir, malgré sa fatigue et la nuit qui s’approche à grande vitesse. Seulement nous ne savons de quel c?té diriger nos pas. Notre guide va nous tirer encore d’embarras.
— écoutez-moi, nous dit-il, à la guerre comme à la guerre. Je vais vous trouver du pain, des ?ufs et du jambon, et nous mangerons dans une heure à l’auberge de Palasset, où je vais vous conduire et où nous passerons la nuit à l’écurie, s’il n’y a pas de lits.
— Une heure de chemin ? à pied ?
— à pied. Mais demain nous verrons se lever le soleil sur le cirque de Gavarnie.
— Allons, dis-je.
Charles regarde édouard, qui ne répond rien. Enfin il se décide quand le guide nous dit :
— Au moins là-bas nous serons seuls.
L’heure fut longue, mais l’auberge de Palasset nous fut très-hospitalière.
L’omelette br?lée, le jambon rance, le pain dur et noir, composèrent
notre repas arrosé d’un vin aigrelet, mais les lits étaient excellents
et chauds. Pour ma part, j’avais une vieille couverture et de la
paille fra?che, non loin d’une bonne vache laitière qui semblait me dire :
les marchands de curiosités.
— Repose. Demain je te ferai mieux déjeuner que tu n’as d?né.
L’aubergiste nous réveilla en même temps que le soleil ; une tasse de lait chaud dans lequel nous émiettames notre pain nous réconforta, et comme nous avions parfaitement dormi, ce fut avec la plus franche gaieté que nous part?mes pour le cirque de Gavarnie, dont la réputation européenne gatait notre curiosité comme elle gêne aujourd’hui la description que je veux en faire sans tomber dans les redites.
Aussi, sans m’occuper de mes compagnons de voyage, je vais noter au courant de la plume et des souvenirs les impressions que j’en ai rapportées. Ce ne sera qu’un journal, mais assez fidèle pour prouver que cette description n’a pas été apprise par c?ur, comme celles de ces soi-disants touristes ou écrivains qui ne sont jamais allé plus loin que Versailles, ou ne font le voyage des Pyrénées que pour voir de loin ces montagnes et ces cirques, ces lacs et ces cascades qui n’ont de charme qu’a être vus de près, au prix souvent d’une grande fatigue. Et encore combien resterai-je au-dessous de la vérité !
— La grande, la belle chose, s’écriait milord Bute quand il vint à Gavarnie pour la première fois ; si j’étais encore au fond de l’Inde et que je soup?onnasse l’existence de ce que je vois en ce moment, je viendrais sur-le-champ du fond de l’Inde pour en jouir et l’admirer ! Qu’on se figure un cirque dix mille fois plus colossal que le Colisée de Rome, peuplez son amphithéatre et demandez à votre imagination d’y placer une scène digne de la majesté du lieu.
— L’un, dit Cuvillier-Fleury, convoquait un peuple, l’autre une armée, Charlemagne ou Napoléon ; celui-ci décha?nait dans l’immense hémicycle la danse des morts d’Holbein, celui-là y pla?ait les assises du jugement dernier !
C’est le site le plus vaste qu’on puisse rêver. Il semble qu’une puissance invisible a voulu édifier ici une ?uvre destinée à confondre l’orgueil humain. Un voyageur a dit : Sa grandeur, c’est Dieu. Le cirque est plein de cette idée.
La poésie et la peinture sont impuissantes à reproduire ce prestigieux tableau. Là ce sont des tours arrondies se profilant sur le ciel d’Espagne, ici des gradins curvilignes superposés avec symétrie et que le temps a ornés de sculptures et d’arabesques fantastiques. Ces murs millénaires labourés de rides profondes sont une gigantesque épopée de granit sur laquelle est écrit l’age du monde.
Vu ainsi à vol d’oiseau, d’un premier coup d’?il, pour ainsi dire d’une première impression, le cirque de Gavarnie saisit l’ame, la subjugue et l’annihile. Mais la majesté de l’ensemble se laisse encore sur passer par le fini de détails.
Nous voici dans l’intérieur de l’enceinte pavée de blocs énormes, où se voient encore des lacs entiers taris, mais dont le fond garde des neiges éternelles, que ne peut fondre le soleil du Midi. Partout la neige forme des ponts sous lesquels rugissent les torrents et qui s’ouvrent tout à coup devant nous comme autant de soupiraux qui vomissent des gaves. La pente neigeuse s’incline de plus en plus. Nous approchons de la chute, dont nous entendons le bruit assez semblable à celui du vent dans les feuilles. Enfin nous sommes à ses pieds, et en levant la tête nous estimons que sa hauteur est bien trois fois celle de la flèche de Strasbourg.
La cascade nous couvre de sa rosée glaciale et nous suivons d’un ?il charmé le cours majestueux de cette rivière suspendue dans les airs. Elle forme d’abord une abondante colonne d’eau puis se brise sur des rochers, retombe en pluie, que le vent fait voltiger, et, calmée par cette course folle, vient se coucher dans son lit de glace. Un voile de mousseline n’est pas plus léger que cette nappe humide brodée de perles fines qui se balance mollement le long d’un rocher de quatre cents mètres de haut. Ce n’est plus une cascade, c’est un torrent d’or et d’argent mélangé de saphirs et de rubis ; quand sa poussière s’irrise sous les rayons du soleil, ce sont des arcs-en-ciel qui sillonnent l’air ou des gerbes de feu qui pétillent d’un millier d’étincelles. Au-dessus on voit de formidables remparts, gardiens de cette mer veille ; ce sont les sommets dentelés du Marboré dont les tours sont immortalisées par les poésies de l’Arioste, où nous retrouvons encore le souvenir de Roland, dont le cheval Bayard a franchi le cirque d’un seul bond, et dont la Durandal a fendu la montagne en deux ! Aux géants de l’histoire ou de la légende, il fallait cette scène gigantesque.
Donc, le cirque de Gavarnie peut se résumer ainsi : murailles qui touchent le ciel, glaciers échelonnés en gradins, cascades floconneuses, et le tout dans un espace de trois lieues de circonférence. Nulle part on ne retrouve cette majestueuse décoration de gradins, de cascades, de neiges éternelles.
Qu’on ne s’y trompe pas ! Le cirque de Gavarnie si vanté est fort peu connu. On y vient beaucoup en partie déplaisir, on y reste deux ou trois heures et on repart croyant le conna?tre. Grossière erreur ! Il faudrait séjourner dans le pays, voir le cirque à toute heure du jour, au coucher du soleil, au lever de la lune, au printemps, à l’automne, l’examiner de toutes les hauteurs environnantes, visiter les autres grands cirques, et alors on pourrait emporter une impression vraie et personnelle de cette merveille.
Tout à mon admiration, je n’ai pas noté l’accident survenu à édouard. Et cependant il marque le point de départ d’une nouvelle phase de mon excursion dans les Pyrénées.
L’accident n’était pas grave, mais les suites faillirent le devenir. Le jeune homme s’était laissé tomber dans un de ces soupiraux que j’ai déjà signalés. Ce fut un bain glacé qu’il prit jusqu’à mi-jambes. Pour comble de malheur, nous avions très-chaud et le soleil qui nous avait escortés jusque-là venait de nous fausser compagnie. Une bise glaciale précéda la pluie et nous rentrames grelottants à l’auberge de Palasset, où nous nous séchames tant bien que mal. Edouard seul ne put parvenir à se réchauffer ; comme le temps s’était radouci nous part?mes pour Gavarnie, où nos chevaux nous attendaient. Mais, arrivés là, il fut impossible à édouard de continuer la route. Charles, très-inquiet, le fit coucher, et, ne voulant pas abandonner mes camarades, je leur sacrifiai ma journée du lendemain.
— Un jour de repos, me disais-je, et ce sera suffisant.
— Grosse fièvre, dit le guide, le jeune homme en a pour quelques jours.
— Vrai ! vous m’effrayez !
Charles rentrait au même instant.
— Mon cher ami, dit-il, édouard a une fièvre épouvantable. Où trouver un médecin, ici ?
— Oh ! des médecins, c’est bon pour les villes. Nous n’en avons pas besoin dans les campagnes, dit le guide. Tenez. ?a me conna?t, les fièvres.
Je laissai le guide et Charles monter chez le malade. Moi j’allai, pour me distraire, voir l’église et ses treize cranes des Templiers. Puis, trouvant ce spectacle aussi court que peu amusant, je rentrai à l’auberge où m’attendait une surprise que je réserve pour le chapitre suivant.